La Candelaria, une Colombie aux mille couleurs

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Les maisons bogotanaises forment un arc-en-ciel de couleurs dans les rues. Michael Baron / DR

Aussi magnifique à vivre le jour que dangereuse la nuit, La Candelaria, le quartier historique de Bogota est d’abord un lieu de vie pas comme les autres. Un contraste permanent comme fil rouge d’une balade inoubliable.

Les pluies diluviennes de la veille ont eu raison de La Candelaria. Comme à chaque fois, l’eau ruissèle sur les pavés des rues vallonnées de ce quartier historique. Mais cela n’empêche pas cette fillette, âgée d’une dizaine d’années de sortir jouer en chaussettes. Au croisement d’une allée, toutes perpendiculaires à Bogota, elle manque d’heurter deux hommes qui portent un lit, les draps encore faits. La capitale colombienne est une ville pleine de contrastes où chaque quartier possède sa propre ambiance. Où, lorsqu’on s’échappe vers un autre que le District de Santa Fe, un nouveau monde inconnu s’offre à nous. La Candelaria fait partie des lieux incontournables à visiter pour les touristes et pourtant peu appréciés des locaux en raison de leur dangerosité une fois la nuit tombée. 

La face cachée de la Colombie

À l’inverse de l’Europe, le centre-ville de Bogota et particulièrement son quartier historique, est peu entretenu. Et puis il y a cette autre version de la Colombie, celle plus marquée, ancrée, celle que l’on essaye de maquiller. L’épicentre du trafic de drogue, de la prostitution et de la délinquance se trouve ici à la Plazoleta Chorro de Quevedo. « Je me suis fait voler mon téléphone ainsi que mon porte-monnaie ici, souffle Aurore, journaliste française à France 24 à Bogota. Quand on doit aller là-bas, il vaut mieux porter son sac devant soi comme les touristes. » En poursuivant notre chemin, nous croisons la route de plusieurs mendiants, de SDF qui reniflent de drôles de substances. Aurore nous éclaire : « Cela s’appelle du bazuco, c’est un résidu de cocaïne, des « restes » de crack. Souvent, ils mettent ça dans des petites bouteilles. » La scène est traumatisante. On y voit cette pauvreté, ce sentiment d’impasse et de détresse dans la lueur de ces hommes et de ces femmes. C’est aussi ça la Colombie. Plus loin se trouve un endroit dont le nom suffit à dessiner les contours de ce que vous allez voir : le Bronx. Étalé sur une longueur de trois rues sur  trois, le Bronx est une zone de non-droit où les policiers n’osent même plus s’aventurer. Gangréné par les guerres de gang, les overdoses, les violences, cet espace sale et malfamé ne nous est point familier. Dans un élan de légèreté et pour parfaire notre culture locale, Aurore nous partage un mythe. « La légende dit qu’ici, dans le Bronx, il y a des maisons spécialisées où on découpait les corps et on les mettait dans des sacs-poubelles. Souvent ces personnes faisaient ça à des gens indésirables, qu’on venait de tuer pour ne pas laisser de traces. » Mieux vaut regarder le sol lorsqu’on nous marchons car les « routes » alternent entre le béton, la terre, les briques ou encore les trous.  

Mieux vaut ne pas trainer tard dans les rues de ce quartier. / Pixabay

Mille et une couleurs

À l’inverse lorsqu’on pointe le nez vers le haut, l’air frais de l’altitude que nous gagnons, nous aère les poumons. Les couleurs sont vives. Les pavés rouges qui jonchent pourtant le sol s’accordent dans une douce harmonie avec les murs de certaines maisons. Heureusement, La Candelaria n’est pas qu’un îlot d’aspects négatifs. Sa richesse réside dans sa diversité. En montant l’une des rues, nous sommes frappés par le décor qui remplit nos sens. Le contraste est saisissant. Les couleurs sont présentes partout, sur les murs des maisons, aux fenêtres, les fleurs tombantes. Les sensations n’ont rien à voir. « Le quartier est typiquement colombien, précise Aurore. Ils adorent mettre de la couleur partout, cela fait très gai. Et puis il faut regarder les tags aussi. » Elle ne s’est pas trompée. Les fresques qui ornent les bâtisses sont magnifiques, d’une réalisation parfaite. Loin des stéréotypes, nous prenons une véritable claque. De l’art à l’état pur. Jusqu’ici, la vie n’avait pour seul témoin que ces immenses tags dont le nom ferait presque offense au rendu. Dans une ville de huit millions d’habitants, bruyante et polluée, la vie s’anime peu à peu, puis intensément. Nos sens sont en plein éveil. L’odorat et la vue les premiers. De nombreux marchés aux puces ont fait leur apparition sur la place Bolivar. Les restaurants végétariens, les boutiques hippies rajoutent à la scène, une dimension sensorielle et visuelle qu’il est agréable de laisser pénétrer. « Partout à Bogota et notamment à La Candelaria, tu trouveras des spectacles de rue comme des seniors qui dansent la salsa, des Vénézuéliens qui font des sketchs, raconte la journaliste. Il y a aussi des attrape-touristes qui vendent des photos avec leur lama vêtu du drapeau colombien. » 

Sur les murs, nous tombons sur de très belles fresques. / Jorge Gardner

Architecture et patrimoine national 

Le charme du quartier, c’est aussi sa dimension historique. C’est ici, que l’on retrouve les monuments nationaux, théâtres, musées comme celui de l’or par exemple. On y trouve aussi le Congrès partiellement détruit en 1985 par un tank de  l’armée. L’architecture coloniale apparente de ces bâtiments nous en dit plus sur le passé de cette ville et de ce pays au moment de l’époque colonialiste espagnole. C’est la fête sans en être une. Juste  un vacarme perpétuel et agréable dont il est bon de se délecter. Pour compléter l’expérience, la musique reggaeton, que l’on entend du matin au soir, vient donner une douce ambiance à ce curieux tableau. Dans La Candelaria comme dans toute la Colombie, le temps se fige à 6h et à 18h de la journée lorsque l’hymne national est diffusé. Tous les jours depuis une loi de 1995. Tout au long de notre balade dans La Candelaria, une odeur de friture garnit nos narines et nos papilles s’illuminent à la vue de ces vendeurs ambulants de buñuelos (beignets) et de fruits, dont la moitié nous paraît inconnue. Après une bouchée d’avocats assaisonnés au piment et au sel, que les Colombiens prennent pour un goûter, il est temps de se poser un instant. Observer, savourer, contempler ce décor aux multiples visages. Apprécier ce tableau aux multiples couleurs. Aurore termine : « On retrouve de tout ici, c’est ce qui rend La Candelaria si spéciale, cet endroit si particulièrement vivant. »