Reconnaissance faciale : une atteinte aux libertés ?

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Le maire de la ville de Nice Christian Estrosi milite pour l'application de la reconnaissance faciale en France depuis 2016. ©Élodie Charriere

La ville de Nice est précurseur en matière de reconnaissance faciale. Si le maire Christian Estrosi travaille depuis plusieurs années à l’installation de cet outil, la question de l’atteinte aux libertés se pose.

Suite au tragique attentat survenu à Nice le 29 octobre dernier, l’autorisation de la reconnaissance faciale refait surface. La Cité des anges est frappée une seconde fois par le terrorisme. Le maire Christian Estrosi a immédiatement adressé un mail au Premier ministre Jean Castex : « Je vous demande de bien vouloir prendre immédiatement un décret permettant d’utiliser ce moyen technologique, particulièrement pertinent au regard de l’urgence ». Cet outil serait utilisé comme moyen de protection des citoyens. Il permet d’analyser les visages parmi la foule, d’identifier les individus recherchés par la police locale ou les personnes dites « d’intérêt », c’est à dire connues des services anti-terroristes. En France, la loi informatique et libertés ainsi que le Règlement européen pour la Protection des Données (RGPD) interdisent le recours à la reconnaissance faciale. L’avocate Marion Hainez, spécialisée dans le droit des nouvelles technologies, de l’informatique et de la communication, explique pour quelles raisons cette pratique est soumise à une telle interdiction : « Elle est plus poussée qu’une simple caméra de vidéosurveillance, ce n’est pas anodin, cette interdiction a été posée dans le souci de protéger les données qui peuvent être récoltées. Plus les données sont sensibles, plus elles doivent être protégées et sécurisées. C’est là le sens de l’interdiction ».

Différents usages possibles

Il existe de nombreux autres usages possibles, dans de nombreux domaines. Ils peuvent même aller jusqu’à l’identification de personnes recherchées sur la voie publique. Dans ce cas, les finalités sont la défense et la sécurité publique. Ou de permettre à des clients d’être reconnus et d’accéder à leur chambre d’hôtel, leur compte personnel, ou tout autre espace ou service. Il s’agit simplement de permettre un accès autorisé. La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) va vérifier si l’utilisation de la reconnaissance faciale est proportionnée ou non. La commission peut refuser, si des alternatives moins attentatoires aux libertés ou aux droits des personnes sont envisageables. Ces démarches sont mises en place dans le but d’éviter certains risques. La menace principale est celle du “Big Brother is watching you“. Une perte de tout anonymat et une surveillance permanente de nos allées et venues. Si vous y ajoutez un couplage avec d’autres technologies, comme l’enregistrement des sons ou des conversations », analyse Maitre Hainez. Une pratique donc logiquement discutée et discutable.

« Il faut continuer de travailler sur le sujet »

L’avocate Marion Hainez rappelle également que « le taux d’erreur de cette technique de reconnaissance faciale est assez élevé. En cas d’erreur, vous pouvez ainsi passer du statut de simple promeneur, à celui de personne suspectée ». Une des raisons pour lesquelles le parti Europe Écologie est contre l’utilisation de cette reconnaissance faciale. « C’est une technologique qui pour l’instant n’est pas reconnue comme efficace », argue Juliette Chesnel-Le Roux, conseillère métropolitaine Europe Écologie. Les Verts ne font pour le moment pas assez confiance à cet outil. Mais son avis n’est visiblement pas rédhibitoire : « Il faut continuer de travailler sur le sujet, sur la recherche, mais la mise en ouvre entraine trop de risque pour le moment ». La reconnaissance faciale en France n’est pas assez développée pour permettre une utilisation fiable. La ville de Nice a investi des moyens colossaux pour la surveillance et la protection. Au téléphone, Juliette Chesnel-Le Roux se dit très intéressée par les budgets de sa ville. « Plus de 15 millions d’euros ont déjà été dépensés en caméras de vidéo surveillance ». Un contrôle efficace demande un référencement rigoureux de tous les visages des citoyens dans une banque de données, comme pour les empreintes digitales. Un travail donc long et coûteux pour le gouvernement, et qui a priori divise encore trop la classe politique.