MÉDIAS Débarqués de Canal il y a un an, Yann Barthès et son équipe ont mis sur orbite la ringarde TMC, ravissant de plus en plus la place de leader des audiences pour les émissions de bande à « Touche pas à mon poste ».
« L’idée était d’augmenter fortement l’audience et les recettes publicitaires en attirant les CSP+ et les 25-34 ans », explique Philippe Nouchi de chez Publicis Media au sujet du transfert surprise de Yann Barthès de Canal à TMC à la rentrée dernière. « TMC veut doubler l’audience de la case horaire et tripler celle des cibles publicitaires » annonçait même Xavier Gandon, responsable des programmes de TF1 il y a un an au Figaro. Pari réussi. Depuis la rentrée, l’émission réunit 1.500.000 téléspectateurs tous les soirs.
« On déconne, mais on apprend »
« Quotidien », imaginé l’espace de l’été 2016 par Bangumi, la société de Yann Barthès et du producteur Laurent Bon, ne marque pas une grande différence avec le « Petit Journal » époque Canal Plus. « Barthès est quelqu’un qui ne cherche pas à bouger 100 fois les choses : quand ça marche, il se sédentarise. Pour le moment, ça paie forcément car c’est le début, mais il va falloir qu’il trouve matière à reconstruire son émission au fil des saisons, car le téléspectateur se complait difficilement dans la stabilité » avertit Clément Garin, expert médias chez « Téléstar ».
Hormis Catherine et Liliane, restées sur la chaîne de Vincent Bolloré, tous les chroniqueurs qui ont fait le succès du « Petit Journal » ont tenté l’aventure TMC. Ils sont tous jeunes (de 19 à 35 ans), s’habillent tous chez The Kooples, viennent de médias statutaires (France 2, Europe 1, PureMédias) se tutoient et s’appellent par leur prénom. Ambiance bar branché. Même le plateau est agencé de la même façon depuis des années, le principes des lives d’artistes en vogue mais pas forcément célèbres a été gardé, les mugs à l’américaine posés l’air de rien sur le bureau de Barthès également. Martin Weill continue de parcourir le monde dans ses reportages incarnés (format qui reste rare à la télé française), Hugo Clément joue encore la carte du journaliste tête à claque en allant alpaguer les politiques de tous bords — « Votre veste ne vous gêne pas trop, à force de la retourner ? » lançait-il à la rentrée à Virginie Calmels (LR)… . Même Yann Barthès a gardé ses mimiques et ses cravates à motifs de 2004.
Un style unique qui ne se démode pas
Mais c’est le côté prescripteur du programme qui lui permet de ne plus avoir à trop innover dans sa forme générale. « Yann Barthès est le seul à savoir capter un public jeune sur de l’actu politique. Il amène une image nouvelle sur l’info, la décrypte dans un sérieux beaucoup moins structurel que ses concurrents » souligne Clément Garin, « Il a un style qui lui appartient, personne n’a su faire mieux encore. Au-delà du ton humoristique qu’il a su insuffler, il y a quand même un aspect instructeur. On déconne, mais on apprend. » Au programme pendant une heure et demie : des invités prestigieux, des lives, de la politique, pas mal d’international, du sport, des médias et même un flash people, le « Petit Q » — des séquences qui ne durent jamais plus de quatre minutes, Yann Barthès a évolué dans l’écurie du très rapide « Grand Journal ».
« Le fait de s’attaquer plus fréquemment à certains partis, certaines opinions, c’est le fond de commerce de « Quotidien ». »
« Marionettes », « corrompus », « moralisateurs »… les reporters de « Quotidien » ne sont pas épargnés par les réseaux sociaux malgré les audiences au zénith. Mettre le nez dans la cuisine politique — c’est après un reportage de l’émission que le ministre de l’Intérieur Bruno Le Roux a été poussé à la démission il y a six mois, dans une histoire d’emplois fictifs présumés — et décrypter la com des puissants ne plaît évidemment pas à tout le monde. « Journalopes », « gauchistes », Twitter rivalise de qualificatifs fleuris pour accuser l’équipe de Barthès de parti-pris.
« Quotidien » agace et fait réagir
« Sans ça, ça ne marcherait pas. Les téléspectateurs aiment voir tel journaliste se faire épingler au meeting de Fillon, tel journaliste fracasser le FN » souligne Clément Garin. « C’est un secret de polichinelle, Yann Barthès a toujours été l’animateur qui parle aux parisiens, qui parle aux jeunes travailleurs riches, c’est le public pur-Macron de l’époque, et c’est aussi pour cette raison que l’émission est à son apogée en ce moment. » Ses partis-pris éditoriaux ferment aux reporters l’accès à certains meetings — ceux de Mélenchon et Le Pen — et l’inimitié forte de certains responsables politiques, dont Nicolas Dupont-Aignan (que Yann Barthès assume pleinement d’avoir pris comme « tête de turc » depuis quelques années). « T’es pas journaliste. T’es fouilleur de merde […] Tu veux massacrer. Tu conduisais les trains quand on emmenait les mecs à Auschwitz » lançait un militant LR pendant la campagne à Hugo Clément pendant un de ses duplex. « Carrément », lui lance le reporter, surpris par la violence de l’attaque. La séquence, emballée et montée pour Twitter, fait le buzz sur les réseaux sociaux. « Quotidien » agace mais même ses plus grands détracteurs consomment ses vidéos calibrées pour une grande viralité.
Trop désinvoltes, trop bobos, pas assez proches de réalités chez Barthès ? Pourquoi tant de haine ? La formule, pourtant mise à l’épreuve des années, résiste. Et puis « la télé c’est que de la télé » pourrait de toute façon lancer un certain concurrent déçu…
Par Clément Avarguès — @ClementAvargues