Voile : l’Atlantique embouteillée

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Trois raisons expliquent le nombre élevé de courses cet automne sur l'Atlantique : la fenêtre météo idéale, les guerre opposant les IMOCA aux Ultimes et les bisbilles entre Ultimes eux-mêmes. (Capture d'écran Une L'Équipe)

Cet automne, on a frôlé l’engorgement dans l’océan Atlantique. Trois courses et deux tentatives de records y étaient organisées. EDJ News vous explique les raisons de cet afflux massif de voiliers sur la grande bleue.

Imaginez un bouchon au milieu de l’Atlantique entre les IMOCA, les Class 40, les Multi 50, les Mini de 6 mètres 50 et les maxi-trimarans géants de la classe Ultime. Une utopie ? En grossissant un peu le trait, c’est ce qui aurait pu se produire cet automne. La Mini Transat reliant La Rochelle à la Martinique avec une escale aux Canaries, la Transat Jacques Vabre (Le Havre-Salvador de Bahia) et la Brest Atlantiques (Brest-Brest via le Brésil et l’Afrique du Sud) étaient organisées au même moment. Avec, en plus, Francis Joyon – sur l’Ultime IDEC SPORT – tentant le record entre Lorient et l’île Maurice, ça faisait beaucoup de monde sur l’Atlantique. Heureusement, Spindrift 2, en standby à Brest, pour le Trophée Jules-Verne (record du monde en équipage), n’a pas encore trouvé la bonne fenêtre météo. En parlant de météorologie, c’est la raison principale de la multiplication des courses à ce moment de l’année. « C’est le moment optimal pour descendre et remonter l’Atlantique, avec notamment les alizés favorables, explique Marcel Dutreux, team manager de l’IMOCA Water Family, 19e de la Jacques Vabre. Dès que tu arrives à partir du mois de janvier, c’est beaucoup moins drôle de remonter l’Atlantique. C’est tout au près, il y a des gros coups de vent qui arrivent (déjà 115 nœuds de vent cette semaine dans l’Atlantique, ndlr.) »

Une scission entre les IMOCA et les Ultimes

Le deuxième facteur explicatif du redoublement de courses en novembre, outre celui naturel des conditions météorologiques, concerne la bataille que se livrent les IMOCA et les Ultimes. Dans un monde idéal – sans la casse subie par les maxi-trimarans lors de la dernière Route du Rhum –, ces bateaux seraient actuellement en pleine préparation de la Brest Oceans. Le 31 décembre devait effectivement partir de la cité du Ponant le premier tour du monde en solitaire et sans escale des Ultimes. Ce projet ayant été repoussé en 2023, le temps de reconstruire des bateaux (notamment le Maxi Banque Populaire d’Armel Le Cléac’h), les promoteurs de cette classe voulaient prendre part à la Jacques Vabre. Ce que les IMOCA ont refusé. « Si les Ultimes participaient à la Transat Jacques Vabre, les bateaux allaient arriver une semaine avant tous les autres, éclaire Marcel Dutreux. Ça aurait fait un gros décalage et entraîné un manque de visibilité médiatique pour les IMOCA. Maintenant qu’il y a des Class 40 ultras puissants, certains arrivent en même temps que les derniers IMOCA. Ce qui fait qu’on a eu des arrivées tous les jours pendant quasiment deux semaines à Salvador. »

Les différentes classes de voiliers

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« Les Ultimes, ce sont des F1 »

Les Ultimes ont donc créé la Brest Atlantiques, une boucle atlantique. « Je pense que c’est une course qui vend du rêve, continue Marcel Dutreux. C’est l’abus en une compétition où il y a tous les plus gros budgets sponsoring de la course au large. » Les quatre trimarans géants engagés se tirent une bourre monumentale en permanence, boostée par les foils (ces appendices qui permettent au bateau de voler), par 35 nœuds. « Ce que je trouve génial, c’est qu’ils ont un caméraman à bord, indique Marcel. Tous les jours il y a des vidéos, avec drones et caméras dernier cri. Ils sont magiques. Par contre, ça dénature un peu le côté vieux jeu de la course. » Aussi, les Ultimes ne sont pas encore complètement unis : « Comme Joyon est un recordman, c’était la fenêtre météo idéale pour lui, révèle Marcel Dutreux. Pour Spindrift, je pense que c’est une volonté du sponsor d’être en équipage et de remporter le Jules-Verne, enfin. » Le team manager de Water Family, venu accueillir ses skippers à l’arrivée de la Transat, a pu mesurer le gap qui sépare sa petite structure de celle des Ultimes. « Le Maxi Edmond de Rothschild s’est arrêté changer sa dérive à Salvador. Ils se sont amarrés à côté de nous. C’est insensé : ils arrivent à quinze. C’est fou ! Les Ultimes, ce sont des équipes de F1. » Le seul problème des Ultimes, selon Marcel Dutreux, c’est leur grandeur, ce qui fait leur spécificité : « À Saint-Malo, pour la Route du Rhum, ils ne rentrent pas dans le port ! Ils sont obligés de se mettre au mouillage à l’extérieur. » Ou quand le développement technologique de la voile, où des moyens colossaux sont mis, n’est pas suivi par les infrastructures portuaires françaises. Un comble pour le pays roi de la course au large.