Novembre marque le lancement du Mois sans tabac. Pour Éric B., cette période est devenue un rendez-vous annuel avec lui-même : deux années qu’il tente de relever le défi.
La fumée, chez Éric B., a toujours eu la couleur de l’habitude. Chaque automne, il rallume la même promesse : celle d’un mois sans cigarette. Un mois pour souffler, pour se prouver qu’il peut tenir, ne serait-ce qu’un peu. Deux années qu’il s’y accroche. Deux années qu’il échoue, qu’il apprend. « Je tiens un mois, parfois un peu plus. Et puis décembre arrive avec ses apéros, ses repas, ses fêtes… et je replonge. » Il dit ça sans honte, presque avec douceur. Comme si ce combat faisait désormais partie de lui.
Éric avait seize ans la première fois qu’il a allumé une cigarette. C’était dans un coin de cour, un jour de printemps. Il se souvient du goût amer du tabac, de la toux qui lui a échappé et des rires de ses amis. « On voulait faire comme les grands. On croyait que fumer, c’était avoir du style. ». Au début, il fumait en cachette. Puis un jour, sa mère l’a surpris. Elle a haussé les épaules, résignée. « Elle avait fumé toute sa vie, elle savait que me crier dessus ne servirait à rien. ». Et de fil en aiguille, la cigarette s’est installée. Comme un repère. Une compagne silencieuse entre deux émotions trop fortes. « J’ai toujours eu du mal à gérer le stress, l’attente, les moments où la vie s’arrête un peu. Fumer, c’était remplir les vides. » Les années ont passé. Le geste est devenu machinal. Le matin, en pause, après le déjeuner. Jusqu’à ne plus pouvoir s’en passer.
Le point de bascule
Le déclic n’a rien eu de spectaculaire. Pas de diagnostic médical, pas de discours moralisateur. Juste une phrase, un dimanche après-midi, prononcée par une petite voix.
Il jouait avec sa nièce, Lana, huit ans, sur le balcon. « Tonton, t’as pas peur d’être comme ça ? », le doigt pointé vers l’image sur le paquet, celle que tout le monde connaît, celle qui montre le cancer. Il a ri, un peu pris de court. Elle, pas du tout. Elle a ajouté : « Moi, j’aimerais pas que tu sois malade. » Ce soir-là, il n’a pas trouvé le sommeil. Il a pensé à sa vie, à son avenir. À sa toux du matin, l’odeur de sa maison. À sa nièce.
Alors quand, deux mois plus tard, il est tombé sur une pub à la télé du Mois sans tabac, il s’est dit que c’était peut-être le signe qu’il attendait.
Les trente jours sans fumée
Le 1er novembre, Éric a écrasé sa dernière cigarette. Pas de grand geste symbolique. Juste une décision silencieuse. Les premiers jours ont été difficiles. Le manque, les nerfs à vif, les réflexes ancrés. « Le plus dur, c’est pas la nicotine. C’est la main qui cherche le briquet, le café qui a plus le même goût, les pauses qui paraissent vides. » Alors il a remplacé. La cigarette du matin par une marche rapide. Celles de l’après-midi par des bonbons à la menthe. Et celles du soir par des podcasts qu’il écoutait dans le noir.
« C’est bête, mais j’ai redécouvert des sensations simples. L’odeur du pain chaud, la respiration qui s’étire, les cafés qui ne sentent plus la cendre. ». À la fin du mois, il s’est senti plus léger. Pas transformé, non, mais fier. « C’est pas un échec, c’est un mois sur douze de gagner ».

Décembre, pourtant, a tout balayé. Une soirée, des amis, une cigarette tendue « juste pour une », et la mécanique est repartie.
« J’ai pas eu besoin de deux secondes pour replonger. Mais j’ai aussi pas eu besoin de deux jours pour comprendre que j’étais capable d’arrêter. » L’année suivante, il a recommencé. Même rituel, même espoir, même combat. Et s’il n’a pas réussi à couper définitivement, il a appris à fumer autrement. Moins souvent. Plus consciemment. « Avant, c’était automatique. Maintenant, j’y pense. Et parfois, je dis non. »
Cette année encore, novembre est là, et avec lui le même rituel. Le mois sans tabac. Éric a écrasé sa dernière cigarette le soir d’Halloween. Mais au fond de lui, il se demande : cette fois, décembre aura-t-il raison de lui ?
Sandy Dumas



