Escape game d’horreur : même la peur a une ombre

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À Nice, certains paient pour frissonner, traqués par des entités. Derrière chaque cri, un comédien orchestre la peur comme un spectacle.

Tic tac. L’horloge tourne. Voilà déjà une bonne demie-heure que vous êtes enfermés dans ce trou à rat. Pas de lumière, sinon quelques cliquetis rouges qui bipent au fond de la pièce. Le temps s’écoule comme la sueur le long de votre dos. Une voix, une seule, brise le silence :

« Une entité se cache parmi vous ». Le Game Master reprend les rennes. D’une voix rauque et glaçante, elle se veut rassurante.

D’autres fois, quand vous l’entendez, vous fuyiez. Ce matin, Eliott a peint ses yeux en noirs, enfilé une cape sombre, rabattu une capuche sur son chef. Avant de pénétrer la salle obscure, son sourire s’est effacé. Son dos s’est courbé. Son regard s’est assombri. Il a quitté les coulisses pour entrer dans son rôle. La porte a claqué, les dents des visiteurs aussi.

« Ça fait un moment que je suis comédien ». Eliott Piette, 26 ans, exerce son art au sein du groupe Heyou Escape. À Nice, les entités sont de sortie. Après avoir emprunté quelques escaliers, une petite porte s’ouvre dans un grincement sinistre. Derrière, personne. Eliott est au fond de la pièce plongée dans la pénombre, le visage recouvert et les mains posées docilement sur la table face à lui. « Juste avant que les visiteurs entrent, je tire une corde pour donner l’impression qu’elle s’ouvre seule ». Le mécanisme est simple, mais touche dans le mile. Le client s’assoit sur un banc un bois. Devant lui, des cartes de tarot sont étalées. Le diable, la mort…Elles ne présagent rien de bon. Les lumières jouent, des cris retentissent. Ça aussi, c’était prévu.

La peur comme mise en scène

On remonte le temps : 12h10. 1h avant le spectacle. Le jeune homme prépare sa tenue dans la pièce secrète, à côté de l’entrée visiteurs. Un miroir, un grand placard : le b.a-ba du comédien. Des masques ? En veux-tu en voilà. Presque aussi équipé qu’Edmond Dantès. Le Game Master pointe du doigt quelques interrupteurs, des enceintes, et même un ordinateur de contrôle : « Tous ces objets me permettent de suivre ce qui se passe à distance. Moi je suis dans ma cabine, et j’observe », dit-il en pointant les caméras de surveillance. « D’ici, je peux savoir où le groupe en est dans l’aventure. Je peux activer des sons, des lumières, bref…tout ce qui les rendra fou ». Dans sa cabine, Eliott garde un oeil sur chaque joueur. Il anticipe les blocages, retient les indices et déclenche les effets au bon moment. « Chaque matin, je teste tout. Les lumières, les mécanismes, les cadenas…Rien ne doit coincer. Un escape game, c’est comme une pièce de théâtre où tout droit fonctionner du premier coup ». Le Game Master est à la fois technicien, comédien et metteur en scène.

Entre théâtre et improvisation

« Quand je joue, je ne suis plus Eliott ». Le ton, la posture, même la respiration change. Parfois, il murmure. Ses yeux sont emplis d’une émotion nouvelle. Plus dramatique, plus pugnace. « Je me souviens d’un joueur qui, paniqué, a tenté de me frapper. Il y a autant de réactions possibles que de joueurs ». À ce moment-là, mieux vaut improviser. D’ailleurs, c’est une partie intégrante de son travail : « Parfois, ça ne se passe pas comme prévu. Il m’est déjà arrivé d’oublier de verrouiller une porte, d’oublier un élément de l’histoire…alors j’avise. ».

Pourquoi on aime avoir peur ?

Les courageux sortent de la salle encore tremblants. Les mains moites, les rires nerveux. Léa, 21 ans, jure qu’elle ne remettra plus jamais les pieds là-dedans. Son amie, elle, prévoit déjà de réserver dans un autre escape game. « J’adore l’adrénaline. On se sent vivant quand on a peur », dit-elle avec un sourire proche de la grimace. Le coeur qui bat, les cris, la tension : tout ce que l’on fuit dans la vie quotidienne, on vient le chercher ici. Pour beaucoup, c’est aussi une façon de tester ses limites mais dans un cadre maitrisé. Personne ne peut vraiment mourir, mais tout le monde y croit un peu.

Quand la partie s’achève, Eliott quitte lentement son rôle. Il retire sa capuche, souffle un bon coup, rouvre les portes. Les joueurs sortent en riant. « Le plus beau c’est quand ils me disent qu’ils y ont vraiment cru », sourit Eliott. Derrière chaque cri, chaque porte grinçante, il y a une main qui déclenche, un cerveau qui orchestre. Le Game Master tire les ficelles du suspens. Sans lui, pas d’adrénaline, et surtout pas d’histoire. Seulement une pièce vide, et une horloge qui continue de tourner. Tic tac.

Coline Jassaud

© Coline Jassaud / Eliott Piette, Game Master