Qui aurait pu penser que la Plaidoirie pour l’avortement de Gisèle Halimi pourrait être encore d’actualité cinquante ans après ? En tout cas, pas l’avocate… Pourtant, après la Pologne et les États-Unis, l’Argentine craint gros avec le nouveau président, Javier Milei, anti-avortement. Connue pour le Procès de Bobigny en 1972, la militante féministe marque encore les esprits.
Plaidoirie pour l’avortement, ne parle pas seulement du sort de Michèle Chevalier et de trois autres femmes ayant aidé sa fille de 16 ans, Marie-Claire, à avorter après un viol en 1971. Non, ce monologue, long d’une quarantaine de pages, plaide au nom de toutes les femmes de la société française. Un discours que l’on peut écouter et lire à la fois. Un discours qu’une feuille ne peut supporter le poids des mots précis et poignants. Un discours dont il est difficile de relever la tête entre les lignes. Un discours qui touche profondément notre esprit. Tout simplement. Dans une époque où la femme est encore « inférieure » à l’homme, Gisèle Halimi a pourtant réussi à se faire entendre par des hommes.
Mais, si nous arrivons à être plongés de cette façon dans cette affaire, n’était-ce pas grâce à l’art de manier les mots ? Écrite comme nous parlons, cette plaidoirie amène le lecteur sur les bancs du tribunal de Bobigny. Tant la remise en question est brutale et, dès le début, les émotions se ressentent. Sans image, ni description des expressions faciales et corporelles des personnes présentes à l’audience, l’ambiance est pesante. La volonté de gagner le procès est primordial. Mais le combat ne s’arrête pas là. « Ces quatre femmes devant ces quatre hommes ! » (P.45). Sous l’œil du procureur de la République et de trois juges, la féministe titille leur esprit sur une loi dépassée. Alors, elle ne défend pas seulement les prévenues sur le banc, mais toutes les femmes de cette époque.
Elle n’est pas féministe, le vrai terme est humaniste
Majestueuse, implacable, artistique, cette plaidoirie ne relève non pas seulement du féminisme, mais plutôt de l’humanisme. L’avocate souligne cette loi dépassée qui ne pénalisait que les femmes issues d’un milieu précaire. Énumérations d’exemples et de chiffres, Gisèle Halimi illustre l’hypocrisie de la justice française. Une lassitude ressentie dans son expression orale. Elle continue par la présence des témoins choisis. Médecins, hommes d’Église, politiciens ou femmes célèbres comme Catherine Deneuve ou Simone de Beauvoir, sont tous présents, dans son discours ou dans la salle. Des choix qui dépassent la cause des femmes. La présence d’hommes pour l’avortement montre l’évolution de l’ouverture d’esprit, mais surtout de l’opinion publique.
Le lecteur est plongé dans une continuelle réflexion. Qu’en est-il pour la liberté de disposer de son corps ? Cinquante ans en arrière, la femme, est-elle seulement un objet de reproduction ? Véritable choc de génération. Faudrait-il alors remercier Gisèle Halimi pour sa plaidoirie ou incendier les personnes qui ont cru pendant des années qu’une dame ne pourrait pas être reconnue comme un être humain ? Mais elle ne s’arrête pas là. Sans crainte de comparer au nazisme ou aux vœux de chasteté dans la religion pure et dure, la militante touche un point sensible de l’histoire française : celui de la mémoire. Son discours est rempli de questions, tant pour elle que pour ses auditeurs. Plaidoirie pour l’avortement assène des vérités justifiées. Des vécus de différentes femmes, notamment celui de Gisèle Halimi. Et, d’ironie sur le jugement d’un homme qui ne peut comprendre ce qu’est de porter un enfant pendant neuf mois.
Mieux comprendre la justice française
Ce chef-d’œuvre s’envole au-delà de la plaidoirie d’une avocate. Le discours montre son importance dans le jugement jusqu’au verdict. Et si l’affaire n’est qu’une parmi tant d’autres, Gisèle Halimi dénonce une justice française robotisée sans jurisprudence pour certaines affaires comme celles des avortements illégaux. Elle déplore le fait que la Justice ne traite pas tout le monde de la même façon. Une chose est sûre, la situation magistrate des années 1970 peut être comparée à celle d’aujourd’hui. Injustice, incompréhension et dysfonctionnement devant des procédures d’une durée interminable. Mais cet ouvrage dépasse les limites de l’art oratoire de l’avocate. À la fin du livre, des explications sur le mécanisme judiciaire français enrichissent la plaidoirie. Des compléments du procès de Bobigny font leurs apparitions ainsi que le destin des prévenues. Mais le droit à l’IVG a été, est, et sera encore un long combat. Toute son histoire est retracée chronologiquement depuis l’arrivée de Simone Veil au ministère de la Santé. Si ce processus pourrait prétendre être acquis en France par un socle juridique solide, plusieurs pays font marche arrière pour le droit des femmes.
Manon Gimet