Les Misérables : de Montfermeil aux Oscars

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Affiche officielle du premier long-métrage de Ladj Ly, Les Misérables. ©UniFrance

Pour son premier long-métrage, le réalisateur Ladj Ly a visé juste. Après avoir été récompensé par le Prix du jury lors du Festival de Cannes, Les Misérables se retrouve dans la course pour une nomination aux Oscars dans la catégorie film international.

Bien loin du film de banlieue caricatural aux allures manichéennes anti-flics, le film dresse un portrait saisissant du quotidien des habitants du quartier des Bosquets, à Montfermeil dans le 93. Stéphane, flic quadragénaire, arrive tout droit de Cherbourg. Il pose ses valises en région parisienne pour se rapprocher de son fils dont il n’a plus la garde. Ce père célibataire intègre la Brigade anti-Criminalité de Montfermeil où il fait équipe avec Chris et Gwada, deux bacqueux d’expérience. À bord de leur Peugeot 308, les trois équipiers vadrouillent dans le quartier des Bosquets afin de régler les problèmes internes et de faire régner l’ordre. Stéphane se rend vite compte qu’au sein de cette bridage et de cette cité, les mœurs, dictées par la précarité, sont bien différentes de sa paisible Normandie. Ici, tout n’est que brutalité. Les banlieusards haïssent les « condés ». Les policiers détestent ces « racailles ». Cette violence émane d’une cruelle pauvreté et d’un délaissement total de ces quartiers, notamment celui des Bosquets. Les Bosquets qu’est ce que c’est ? Littéralement se sont de petits groupes d’arbustes. Cela fait écho à la forêt. Akhenaton utilisait cette métaphore en 1997 dans le morceau Demain, c’est loin : « Jolis noms d’arbres pour des bâtiments dans la forêt de ciment ». Comme si cette vie de banlieue se déroulait dans les bois, exilée, à l’écart de la ville. La ville paraît organisée, aménagée, civilisée. Tandis que la banlieue, elle, est isolée et tente de survivre au fil des saisons. Sous une chaleur caniculaire, les jeunes se tapissent dans des bâtiments insalubres et se fabriquent des piscines de fortune sur le bitume brûlant de la cité.

La naissance d’un cinéaste

L’homme derrière la caméra, ici, s’appelle Ladj Ly. Membre du collectif audiovisuel Koutrajmé, Les Misérables se révèle comme étant son premier long-métrage. Pourtant, le réalisateur est derrière la caméra depuis bien longtemps. En effet, dès son plus jeune âge, ce cinéaste en puissance, a commencé à filmer différentes scènes de son quotidien. Ce qui marque particulièrement le cameraman en herbe, ce sont les interventions musclées d’une police désabusée, et qui détient comme seul ascendant les armes, face à cette jeunesse qu’on stigmatise bien trop vite. Équipé de son petit camescope Ladj Ly, parvient à capturer les évènements de 2005. Et en particulier, le tragique soulèvement des banlieues françaises dont celle de Montfermeil, contre les agissements parfois violents et surtout outranciers des forces de l’ordre. Il est d’ailleurs très agréable de comprendre que le réalisateur se laisse une place dans la fiction. Le personnage de Buzz, jeune du quartier toujours muni de son drone et de sa tablette, et filmant ce qui lui paraît divertissant, n’est autre que la projection du jeune Ladj. Ce film est donc né d’une longue décantation, aboutissant au processus de création chez le réalisateur. Pour celui qui s’est depuis toujours confronté visuellement à ces affrontements, cette expérience lui a en effet permis d’adopter une formidable manière de filmer la banlieue, et qui plus est sa banlieue. Ladj Ly n’a suivi aucun cursus de réalisation ou presque, mais il a bien suivi l’école de la vie, et en filmant devinez-quoi ? La vie. La vie et ses travers, ses dérives, ses scories, celle qui contient la noirceur de la nature humaine. 

Ladj Ly en 2005, caméra en joue. © Flickr

La France à l’écran

Les Misérables vu par Ladj Ly, c’est avant tout un film français, sinon patriotique. Malgré ce que les détracteurs des films catégorisés « banlieue » pourraient penser, il n’est pas le moins du monde question, ici, de démonter les fondements de la nation et ses principes. Bien au contraire, les valeurs de la France sont intelligemment mises à l’honneur, et nombreux en sont les exemples portés à l’écran. En effet, la scène d’ouverture du film propose plusieurs plans d’une foule en liesse, d’un peuple célébrant son équipe de football championne du monde. Des drapeaux tricolores flottant sous le soleil de plomb d’un mois de juillet, des tuniques à l’effigie de l’Équipe de France sur les épaules de milliers de personnes, dont aucune ne se ressemble. Ce maillot bleu est en effet omniprésent et se suit, même, en filigrane à mesure que l’intrigue progresse. De nombreux protagonistes comme Le Maire et Issa arborent fièrement ce vêtement. Ce choix purement scénique prouve encore une fois la volonté du cinéaste de montrer que les Français évoluent partout, dans les campagnes, dans les villes et aussi dans les banlieues. Ladj lit dans les têtes et les cœurs de ces jeunes de quartier, de ces policiers au bord de la rupture, que tout semble opposer et qui pourtant partagent la même ambition, celle de voir leur pays grandir. 

Les Misérables : un film-documentaire

Malgré certains aspects accentués et stéréotypés de la vie de quartiers, Ladj Ly nous dépeint de manière remarquablement réaliste le quotidien de tous ces Français. Là où fiction et réalité s’entremêlent, la force de ce film réside dans la façon dont est traité le propos. Les Misérables ne porte aucun jugement. Aucun jugement sur la délinquance. Aucun jugement sur les policiers pourris. Il ne suggère pas de parti pris. Là où la plupart des films adoptent une posture très manichéenne vis à vis de la banlieue et ses problèmes, Les Misérables agit simplement comme un moteur de réflexion. Ce n’est pas un film anti-flics. Ce n’est pas non plus une comédie dramatique sociale à l’eau de rose. Bien entendu ce récit fictif ne l’est en réalité pas tant que ça. Et Ladj Ly se sert de cela pour nous immerger dans le chaos urbain que peut être la banlieue. Ladj Ly n’accuse personne. Ladj Ly ne condamne personne. Il n’en fait pas trop. Il questionne juste nos esprits et nos valeurs. Et si pour nous, spectateurs, Français avant tout, ce n’était pas assez clair, la quatrième de couverture tournée, Victor Hugo nous interpelle « Il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs ».

Charly Chateau & Pol Partouche