Prostitution : « Le travail du sexe, c’est vraiment le premier travail que j’ai choisi »

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Ils seraient entre 30 000 et 50 000 travailleurs et travailleuses du sexe en France. © Alice Dubernet

Pendant le confinement une profession souffre en silence : zoom sur les travailleuses du sexe. 

« Avec le confinement on ne peut plus du tout exercer notre profession, et nous n’avons ni chômage, ni aides de l’Etat ». Alice*, 22 ans, est étudiante et prostituée. « Moi, j’ai la chance d’être rentrée chez mon père. Il est au courant pour tout, donc il me loge et me nourrit ». En effet, les travailleuses du sexe sont exclues du droit commun et ne peuvent pas se déclarer en tant que travailleur indépendant. « Plusieurs endroits n’acceptent plus le cash, donc certaines prostituées ne peuvent même pas compter sur leurs économies », explique-t-elle. La jeune femme est détendue, se confie sincèrement, entre deux éclats de rire. Il y a trois semaines, elle décide de créer un compte Instagram nommé Bagarre Erotique : « J’avais envie de mettre la dimension de lutte et de sexe dans ce nom ». Sur ce réseau social, ce sont toutes ses facettes qui s’animent : féministe, travailleuse du sexe et artiste. Les publications sont des extraits de sa bande dessinée. « Si je devais choisir entre l’art et la prostitution, je choisirai l’art, parce que c’est ma passion. Je ne suis pas passionnée par le travail du sexe. C’est un travail ». Un travail, pour payer le loyer, manger à sa faim, et sortir entre copines. Ce métier, elle le découvre alors qu’elle fait des études d’art en Belgique : « Il y a eu toute une polémique sur les sugar dating (des étudiantes qui ont des rendez-vous avec des hommes fortunés ndlr) et leur promotion devant les universités belges. C’est comme ça que j’ai compris que c’était une option, parce que j’avais peur d’aller sur le trottoir ».

« Entre serveuse et travailleuse du sexe je préfère être travailleuse du sexe »

Les premiers rendez-vous s’enchaînent et se passent bien. « Le travail du sexe, c’est vraiment le premier travail que j’ai choisi ». Ses parents l’aide un peu financièrement, mais cela ne suffit pas. « En sortant de mon premier rendez-vous, j’ai eu ce profond sentiment de puissance. Je me sentais bien d’avoir pu le faire, et de comprendre que je pouvais être en quelque sorte mon propre patron ». Pour la jeune femme, utiliser son corps comme elle l’entend est l’essence même du féminisme. Que penser alors de l’association féministe fondée en 2003 sous le nom de : Ni putes ni soumises… « C’est aberrant, moi je suis pute mais pas soumise. » Alice milite depuis le début pour une reconnaissance de sa profession et la fin de la stigmatisation : « J’aimerais pouvoir avoir des enfants et qu’on leur disent qu’ils sont des fils de pute, et alors ? » Pour elle, la société doit changer. « Il y a plein de prostituées qui sont consentantes, qui le font de leur plein gré, mais ça ne va pas avec la morale puritaine de l’Etat, donc on est invisibilisées. Il faut une decriminalisation de notre métier, parce que c’est à cause de la pénalisation des clients que nous devons nous cacher. Et c’est à cause de ça aussi que seuls les clients les plus dangereux persévèrent. » Pourtant, assise entre deux sculptures dans l’atelier de sa mère, Alice est loin d’oublier ses « soeurs » abusées : « Évidemment il y a des filles qui sont forcées et c’est horrible, mais pour cela, il existe déjà des lois sur la traite des êtres humains, et le proxénétisme cela en est ». Ses yeux verts ressortent au milieu de sa peau blanche… La vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat, tout cela n’est qu’une histoire de sens : « Il y a une utilité sociale au travail du sexe, ces hommes viennent nous voir pour être touchés. La détresse affective est un véritable problème, c’est même vecteur de dépression ».

https://www.instagram.com/bagarre_erotique/

Dissocier sa vie professionnelle et personnelle

Alice est un personnage, une poupée de cire, une élaboration. Comme dans une pièce de théâtre, elle joue un rôle : « J’ai choisi ce prénom pour mon identité de prostituée parce que c’est un peu mon prénom pour ce qui est illégal ». La première fois qu’elle se fait prendre en train de fumer à 15 ans, un adulte lui demande son prénom, dans la panique, elle lance : Alice. Ce qui est sur par contre, c’est que personnage ou non, elle impose des règles à ses clients, c’est la clé : « Quand j’arrête de travailler, cette personne n’existe plus ». Une manière de se protéger soi-même, de mettre des limites, d’interdire des relations en dehors du travail : « On ne va pas boire un café avec son psy ? Donc on ne va pas boire un café avec sa pute non plus ». C’est l’anonymat qui lui permet de se livrer complètement, en transparence, sans crainte, sans peur. Le personnage de sa bande dessinée n’a pas peur non plus, il dénonce sans détour : « Je voudrais l’envoyer à un éditeur quand je l’aurais fini. Je voulais l’appeler Alice au nouveau pays des merveilles, mais maintenant j’hésite avec Bagarre Erotique. » 

Réalisé avec le logiciel Pages ©AD

*Ce prénom est un nom d’emprunt choisi par l’interviewé pour préserver son anonymat.