Infirmière à l’heure du covid-19 : « Humainement, c’est très éprouvant »

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Le dévouement du personnel soignant, résumé en un cliché. © Séverin Rochet

Alors que 4 682 patients atteints du Covid-19 se trouvaient toujours en réanimation, dimanche 26 avril, sur l’ensemble du territoire français. Le personnel soignant continue de se donner corps et âme pour leur venir en aide. Parmi eux, Margaux, témoigne de son quotidien en ces temps de crise.

Les traits tirés, les yeux cernés et la mine grisée. Autant de signes d’un visage marqué qui témoigne du quotidien éprouvant de Margaux Caverot. À seulement 25 ans, l’infirmière porte déjà un lourd fardeau sur ses épaules. En poste depuis 3 ans au sein du service réanimation médical de l’hôpital Minjoz à Besançon, la jeune femme doit pour la première fois faire face à une situation inédite et de ce fait, relativement compliquée. La Bourgogne- Franche-Comté est, en effet, l’une des régions les plus touchées par l’épidémie de Covid-19 avec 1218 personnes toujours hospitalisées, dimanche 26 avril, dont 194 en réanimation. Margaux reconnaît qu’en ces temps difficiles, l’ensemble des moyens nécessaires ont été mis en oeuvre pour gérer au mieux la situation, mais aussi afin de soulager les effectifs. « En temps normal, on manque de personnel, mais depuis le début du virus,  l’hôpital a fait en sorte de renforcer au maximum le nombre de soignants ». Un renfort de personnel, mais pas seulement. Du matériel supplémentaire a également été affrété au sein du service de réanimation médicale, faisant passer le nombre de lits de 20 à 43. Si la situation semble sous contrôle en ce qui concerne l’organisation du service , la situation s’avère beaucoup plus compliquée d’un point de vue éthique et humain, reconnaît Margaux. « On nous recommande de changer d’équipement deux fois par nuit de 10 h, car il faut économiser le matériel. Il nous est donc impossible d’aller boire un verre d’eau ou même de nous rendre aux toilettes. Beaucoup d’entre nous ont fait des infections urinaires à cause de cela » soupire l’infirmière avant d’ajouter : « Il fait très chaud dans les chambres d’autant plus que nous portons plusieurs couches. Par conséquent, certaines infirmières ont fait des malaises ». Au niveau du rythme de travail, rien n’est imposé. « Cette semaine je suis à 53 h mais c’est parce que je l’ai bien voulu », sourit la jeune femme, laissant transparaître un dévouement sans faille.

 « Faire son deuil dans ces conditions, ce n’est juste pas possible »

Comme de nombreux soignants, Margaux se retrouve régulièrement confrontée à la mort. D’après le relevé du 24 avril, 11 patients sur 67 admis depuis le début de l’épidémie, sont décédés au sein de son service. « Quand on voit le nombre de cas, le taux de décès reste relativement faible », reconnaît l’infirmière. Ce qui choque le plus la jeune femme n’est donc pas le taux de décès mais plutôt la manière dont cela se passe quelques heures avant la mort du patient mais également  après . « J’ai été profondément touchée par le cas d’un homme qui avait le même âge que mon père et qui n’a pas pu être accompagné dans ses dernières heures. Sa femme a pu le voir mais pas ses enfants qui ont dû rester dans la salle d’attente », chuchote Margaux la voix tremblante, encore marqué par la disparition de son patient. Accompagner le patient dans ces dernières heures de vie est quelque chose de relativement compliqué mais pour Margaux, pas question de craquer . « On est dans une phase d’accompagnement car on se dit qu’on est la dernière personne que le patient va voir. C’est donc notre devoir de rester fort pour lui. »

Une seconde vague redoutée

Pour la première fois depuis mi-mars, moins de 200 personnes se trouvent en réanimation dans la région. Des signes encourageants qui ne doivent cependant pas susciter de relâchement. Un relâchement qui angoisse particulièrement Margaux. « Nous voyons les gens dans la rue qui sont proches, des jeunes se retrouvent même pour jouer au ballon », s’indigne la jeune femme avant d’ajouter : « si les gens agissent de la sorte, je suis sûre que nous allons devoir faire face à une seconde vague ». Pour la jeune femme, une chose est sûre,  la vie ne pourra pas reprendre son cours le 11 mai, mais elle reconnaît ne pas avoir assez de recul pour savoir comment cela va se passer. Son inquiétude concerne un tout autre point . « Nous avons plus de 250 étudiants infirmiers en renfort et ils devront probablement s’en aller début mai ». Avec du personnel en moins, Margaux et ses collègues devraient faire face à une situation d’autant plus compliquée. En attendant, l’essentiel reste de continuer à tout mettre en oeuvre pour faire front face à l’épidémie.

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Une situation inédite, immortalisée par un chirurgien

À travers son exposition « Regard de soignants », Séverin Rochet, chirurgien et photographe à ses heures perdues, a décidé de mettre en lumière le travail du personnel soignant. Au cours de cette immersion de 10 jours au sein du service de réanimation de l’hôpital Minjoz à Besançon, 76 clichés ont vu le jour, illustrant le quotidien des soignants à l’heure du virus. Séverin Rochet a par ailleurs décidé d’exposer ses clichés au sein même du service pour que cet hommage soit toujours au plus près de ces principaux acteurs.

Stéphane Rochet présente son exposition « Regard de soignants ». Crédit photo : DR